Sous l’effet d’une augmentation des aspirations scolaires des étudiants et de leur famille et des politiques éducatives, une proportion croissante des membres d’une classe d’âge se rend dans l’enseignement tertiaire. On parle de massification du supérieur ou de démocratisation quantitative de l’enseignement postsecondaire.
Cette massification a conduit, sur le plan qualitatif, à une recomposition des publics et des collectifs d’étudiants qui se traduit par la présence plus grande d’étudiants provenant de catégories sociales précédemment exclues ou qui avaient un accès limité. Egalement, cette recomposition se manifeste sous la forme d’une large variété de parcours pour les étudiants qui s’éloignent du model traditionnel.
En plus de la diversification des étudiants, l’expansion de l’enseignement tertiaire a été accompagnée d’une complexification institutionnelle. L’université n’est plus l’institution reine (avec des variantes selon les systèmes nationaux) de l’enseignement postsecondaire. Les politiques éducatives ont conduit au renforcement ou à la création de nouvelles institutions comme les collèges communautaires (Canada et États-Unis), les collèges d’enseignement général et professionnel (au Québec), les collèges universitaires (Californie, Colombie-Britannique), les Hautes Écoles professionnelles (Suisse) ou les Instituts universitaires de technologie (France).
Au sein même des différents établissements, de nouveaux programmes ou de nouveaux champs d’études ont été créés. Interdisciplinaires, orientés sur un thème de recherche ou une sphère d’activité, ils visent souvent des objectifs professionnels très marqués. Une diversification des cursus qui a amené, dans certains pays, a de nouvelles articulations entre la formation professionnelle et technique et l’enseignement universitaire. Ce décloisonnement a fait basculé les universités vers des diplômes professionnalisant et aux autres établissements vers une offre des diplômes universitaires.
Pour Maroy et Van Campenhoudt (2010), l’enseignement postsecondaire, spécialement non universitaire, a connu une importante croissance, en recrutant proportionnellement plus parmi les nouveaux étudiants. Il n’y a pas eu élargissement de l’accès à l’université en fonction du capital scolaire des parents. Ils notent même une légère dégradation des chances d’entrée à l’université. En ce sens, la croissance des études a pris la forme d’une démocratisation ségrégative, même si, sauf quelques exceptions, il n’y a pas sélection à l’entrée des études universitaires.
La source des inégalités se trouve plutôt du côté des individus et des familles. Une part tient aux différences de parcours antérieurs au cours du secondaire mais, en même temps, à parcours scolaires antérieurs égaux et à origine sociale constante, des différences d’accès aux études postsecondaires tiennent aux aspirations (Doray et Murdoch, 2010). Ainsi, l’autosélection est un des processus de modulation de l’accès aux études postsecondaires qui conduit les jeunes Belges francophones vers l’enseignement non universitaire. Erlich et Verley (2010 ; 71) constatent que le poids de l’enseignement universitaire dans le postsecondaire français a diminué de manière significative en trente ans.
Une analyse du développement de l’enseignement supérieur et du déplacement des choix d’orientation des jeunes sur une période de dix ans éclaire cette situation. Cette baisse s’explique en grande partie par la hiérarchisation des filières, une professionnalisation des études et une forte sélectivité exercée sur les choix d’orientation. Si les changements apportés au baccalauréat avec la création des baccalauréats technologiques et la rénovation des baccalauréats professionnels ont ouvert l’accès de l’enseignement postsecondaire, les nouveaux bacheliers ont plutôt poursuivi dans l’enseignement technique (Doray et Murdoch, 2010). Ainsi, la démocratisation a-t-elle été ségrégative, comme dans d’autres pays, notamment en Belgique.
La diversification de l’accès s’est aussi produite à un moment de recomposition des filières de l’enseignement supérieur sous l’impulsion du processus de Bologne, mais aussi par le déploiement de stratégies des universités pour faire face à la diminution de leurs effectifs. Elles ont multiplié les filières professionnalisantes, en croissance d’effectifs, alors que les filières traditionnelles dites généralistes connaissent une désaffection étudiante.
En somme, l’espace postsecondaire est segmenté et hiérarchisé par le tri social des étudiants entre un secteur ouvert (non sélectif) et un secteur fermé ou sélectif. La nature des niveaux d’exigence intellectuelle, des modes de travail, de l’emploi du temps d’études et l’engagement des jeunes dans leurs études contribuent à la segmentation. La valeur des diplômes obtenus est très différenciée sur le marché du travail.
Pour en savoir plus :
« Nouveaux étudiants, nouveaux parcours ? », Education et sociétés, 2010, nº 26, http://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2010-2.htm
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